Observations sur l’arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 3 juin 2009
La jurisprudence et la doctrine s’attachent habituellement à définir le contrat de travail comme la « convention par laquelle une personne physique s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération ».
Dès lors, apparaissent trois critères déterminants de la qualification du contrat de travail : la prestation de travail, la rémunération du salarié et le lien de subordination entre ce dernier et son employeur.
La requalification d’un contrat liant deux personnes en contrat de travail fait l’objet d’un contentieux fourni de la Cour de cassation, en fonction des activités qui sont visées.
C’est d’ailleurs relativement à cette matière que s’est prononcée la Haute cour dans son arrêt du 3 juin 2009.
En l’espèce, un ensemble de personnes est sélectionné pour participer au tournage de l’émission de télé réalité « L’île de la tentation » diffusée sur la chaîne de télévision TF1. Le contrat qui les lie à la société Glem, qui produit l’émission, et intitulé « règlement participants », prévoit les modalités de l’émission en définissant son objet de la manière suivante : « quatre couples non mariés et non pacsés, sans enfant, testent leurs sentiments réciproques lors d’un séjour d’une durée de douze jours sur une île exotique, séjour pendant lequel ils sont filmés dans leur quotidien, notamment pendant les activités (plongée, équitation, ski nautique, voile, etc..) qu’ils partagent avec des célibataires de sexe opposé. A l’issue de ce séjour, les participants font le point de leurs sentiments envers leur partenaire. Il n’y a ni gagnant, ni prix ».
Trois de ces participants assignent la société Glem et TF1 devant les juridictions prud’homales après le tournage de l’émission en requalification dudit contrat en contrat de travail à durée indéterminée et en paiement de rappels de salaire et de diverses indemnités prévues par le droit du travail.
La Cour d’appel accueille ces demandes et requalifie le contrat « règlement participants » en contrat de travail.
La société Glem, actuellement TF1 productions, forme un pourvoi devant la Cour de cassation contre cette décision en s’attachant à démontrer que le contrat litigieux n’est pas un contrat de travail, mais un contrat de droit commun exclusivement subordonné au respect des dispositions du Code civil dans la mesure où celui-ci ne présente pas les éléments constitutifs du contrat de travail, à savoir la prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination.
Le problème juridique alors posé est de savoir si le contrat liant les participants à une émission de télé réalité à la société produisant ladite émission est un contrat de travail au sens du Code du travail.
La Cour de cassation répond par l’affirmative à cette question : elle rejette le pourvoi formé par la société productrice et approuve la décision de la Cour d’appel au motif que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ». Partant, elle relève une série d’indices permettant d’étayer cette qualification.
Si c’est la première fois que la Haute cour se prononce sur la qualification à accorder aux contrats liant les maisons de production de programmes de télé réalité à leurs participants, c’est sur des solutions jurisprudentielles constantes qu’elle se fonde pour arriver à sa solution. Il conviendra alors de les étudier au fil des développements qui vont suivre.
I. La requalification du contrat par le juge
Le contrat de travail ne fait pas l’objet d’une définition légale. Les critères qui le composent sont issus de la jurisprudence de la Cour de cassation qui les précise, et il appartient au juge, en cas de contentieux quant à la qualification à donner au contrat litigieux, de vérifier l’existence de ces critères.
En effet, la qualification est indisponible, c’est-à-dire qu’une fois les éléments constitutifs du contrat de travail réunis, les parties ne peuvent y déroger, peu importe les termes utilisés dans la convention qui les lie.
A ce sujet, la Cour de cassation a considéré que la volonté des parties est « impuissante à soustraire des travailleurs au statut social découlant nécessairement des conditions d’accomplissement de leur tâche[1] ».
Cette solution constante est reprise par la Cour dans l’arrêt étudié par la formule de principe selon laquelle « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs[2] ».
La réaffirmation de ce principe, en plus de permettre au juge d’apprécier concrètement la relation juridique liant les parties et de la qualifier le plus précisément possible en fonction des éléments qu’elle analyse, renverse également l’argument de la société productrice selon lequel le contrat litigieux prévoyait que les intéressés « [participaient] au programme à des fins personnelles et non à des fins professionnelles ».
Ainsi, l’argument tiré de la carté des termes utilisés dans la convention est inopérant dans la mesure où le juge n’est pas lié par eux.
D’ailleurs, l’argument principal soulevé par la société défenderesse était une dénaturation des termes de la convention litigieuse : pourtant, la Cour de cassation opère bien un contrôle de dénaturation, c’est-à-dire qu’elle vérifie bien que les juges du fond n’ont pas interprété ou refusé d’appliquer une clause claire et précise de la convention, sans pour autant hésiter à requalifier le contrat.
II. Le contrat de participation au programme de télé réalité : un contrat de travail
En outre, la Cour de cassation retient également que les participants avaient « l’obligation de prendre part aux différentes activités, qu’ils devaient suivre les règles du programme définies unilatéralement par le producteur, qu’ils étaient orientés dans l’analyse de leur conduite, que certaines scènes étaient répétées pour valoriser des moments essentiels, que les heures de réveil et de sommeil étaient fixées par la production, que le règlement leur imposait une disponibilité permanente, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur, et stipulait que toute infraction aux obligations contractuelles pourrait être sanctionnée par le renvoi », faisceau d’indices dont elle déduit « l’existence d’une prestation de travail exécutée sous la subordination de la société productrice ».
II. 1. Le lien de subordination
En ce qui concerne le critère du lien de subordination, il a émergé de la jurisprudence de la Haute cour dans un arrêt de 1931 qui prévoyait déjà que « la qualité de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie ».
Ce lien de subordination a alors été défini comme ayant pour effet de placer le salarié sous « la direction, la surveillance et l’autorité » de son employeur[3].
Par la suite, le lien de subordination a fait l’objet d’une définition légèrement différente qui est aujourd’hui constante : il est caractérisé par l’ « exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »[4] .
C’est en l’espèce certainement sur cette dernière définition que se fonde la Cour de cassation pour relever l’existence du lien de subordination car elle s’attache à pointer du doigt des éléments y répondent particulièrement : ainsi, tant le droit fixer les heures de réveil et de sommeil que la soumission des participants aux activités proposées et aux modalités de déroulement du programme relèvent du pouvoir de l’employeur de donner des ordres et des directives, la possibilité pour la société productrice de faire répéter aux participants certaines scènes « pour valoriser des moments essentiels » renvoie à son pouvoir de contrôler l’exécution des missions reposant sur ses cocontractants et enfin, le fait de pouvoir sanctionner par un renvoi « toute infraction aux obligations contractuelles » constitue clairement le pouvoir qu’a l’employeur de sanctionner les manquements de son subordonné.
Cependant, il est regrettable que la Cour de cassation n’ait pas employé, comme elle le fait habituellement, la notion d’ « intégration dans un service organisé », c’est-à-dire dans une structure dont l’organisation est mise en place par l’employeur[5], ce qui lui aurait alors permis de caractériser d’avantage l’élément du lien de subordination dans la mesure où il fait la preuve du pouvoir de direction et de contrôle de ce dernier sur ses salariés.
II. 2. La prestation personnelle de travail
Quant à la prestation personnelle de travail, la Cour de cassation s’est également attachée à la définir comme « consistant pour les participants, pendant un temps et dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, à prendre part à des activités imposées et à exprimer des réactions attendues », « ce qui la distingue du seul enregistrement de leur vie quotidienne ».
Par cette formulation, non seulement la Haute cour caractérise le critère de la prestation de travail, mais elle rejette également l’argument de la société défenderesse selon lequel les participants ayant consenti à être filmés dans le cadre du programme, ce temps de tournage ne constituait pas un travail effectif, mais seulement l’objet du contrat litigieux, à savoir « l’expression de ses propres sentiments et une implication dans des relations interpersonnelles générées par une vie communautaire entre couples et célibataires ».
Cela dit, la généralité des termes employés par la Cour pour définir la prestation de travail est à craindre dans la mesure où il est alors facile d’arguer que cette prestation de travail, telle que définie, se retrouve dans la majorité, voir la totalité des programmes télévisuels mettant en scène des particuliers anonymes.
A cet égard, l’avocat général en charge du dossier dont est l’objet l’arrêt étudié avait considéré qu’ « un divertissement entre adultes consentants n’agissant qu’à des fins purement personnelles et non professionnelles ne pouvait relever de la législation du travail », réflexion qui n’a pas été suivie par ses pairs.
II. 3. La rémunération
Loin de se contenter de ces deux éléments, la Cour de cassation relève aussi l’existence d’une rémunération en précisant que « le versement de la somme de 1 525 euros avait pour cause le travail exécuté », relevant et caractérisant ainsi les trois critères nécessaires à la qualification d’une convention en contrat de travail et donc à l’application du droit du travail aux salariés.
Ainsi, par une formule plus générale résumant la décision et apparaissant dans le communiqué de la Cour de cassation au sujet de l’arrêt étudié, il est précisé que « le lien de subordination constitue le “critère décisif” du contrat de travail et que dès lors qu’elle est exécutée, non pas à titre d’activité privée mais dans un lien de subordination, pour le compte et dans l’intérêt d’un tiers en vue de la production d’un bien ayant une valeur économique, l’activité, quelle qu’elle soit, peu important qu’elle soit ludique ou exempte de pénibilité, est une prestation de travail soumise au droit du travail » [6].
Dès lors, cet arrêt a une portée essentielle car il ouvre la voie, pour tous les participants aux programmes de télé réalité, à la revendication du statut de travailleur et des prérogatives prévues par le droit du travail qui y sont liées. En attendant que le législateur suive ou non le chemin emprunté par la Cour de cassation à propos des contrats liant les maisons de production de programmes de télé réalité à leurs participants, cette décision semble avoir amorcé un changement dans le domaine puisque la société Endemol, qui produit le programme de télé réalité Secret Story, et la chaîne de télévision TF1 ont décidé de revoir les contrats les liant aux candidats afin d’éviter tous risques de poursuites dans le futur.
Par Agnès Chavernoz, Juriste en droit de la propriété intellectuelle
[1] Cass. Ass. Plén., 4 mars 1983, D. 1983.381, concl. J. Cabannes
[2] Cass. soc., 19 décembre 2000, Labbane, Dr. soc. 2001.227, note A. Jeammaud
[3] Civ., 6 juillet 1931, Bardou, DP1931.1.121, note P.Pic
[4] Cass. Soc., 15 novembre 1996, Dr. soc. 1966.1067, note J.-J. Dupeyroux
[5] Cass. Soc., 15 novembre 1996, voir sous note n° 4
[6] http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/arret_no_12906.html
Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation, 3 juin 2009, n°40-981
Article publié sur le site european-legaladvice.com, le 12 juillet 2009
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