Le droit des créations vestimentaires et des créations de la mode se caractérise non seulement par son poids économique dans le domaine du prêt-à-porter, mais également par le nombre important des litiges existants. Ce poids économique se traduit directement sur le plan juridique puisque, en France, plus de 70% des litiges qui mettent en jeu le droit d’auteur concernent des créations de mode 1. C’est pourquoi la recherche sur la protection des créations de mode, notamment sur les défilés de mode, par le droit d’auteur devient de plus en plus importante pour le développement de la législation française.

Par une décision rendue le 5 février 2008, la chambre criminelle de la Cour de cassation affirme officiellement pour la première fois la reconnaissance des défilés de mode comme œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur.

 Rappel des faits :

La fédération Française de couture et plusieurs sociétés de haute couture et de prêt-à-porter déposent une plainte pour contrefaçon contre plusieurs personnes dont un photographe indépendant.

Il aurait été diffusé sur le site internet de la société américaine Viewfinder, sans aucune autorisation, les défilés de prêt-à-porter qui ont eu lieu à Paris le 6 au 10 mars 2003.

Ils sont relaxés en première instance, mais condamnés en appel par la Cour d’appel de Paris le 17 janvier 2007.

Pour la Cour d’appel de Paris, il ne fait aucun doute que le défilé est une œuvre de l’esprit, elle énonce en ce sens « qu’il est constant que les créations de mode et les défilés de mode sont au terme des articles L 112-1 et L 112-2 du code de la propriété intellectuelle, des œuvres de l’esprit qui bénéficient de la protection du Livre 1 dudit code et que les Maisons de couture sont titulaires des droits d’auteur sur ces créations et défilés dès lors qu’ils présentent un caractère d’originalité, ce qui n’est pas contesté en l’espèce s’agissant des défilés s’étant déroulés à Paris du 06 au 10 mai 2003 ».

Elle infirme donc le jugement du TGI de Paris en relevant que l’élément matériel et intentionnel de l’infraction de contrefaçon est établi à l’encontre des photographes.

Les photographes se pourvoient en cassation mais la chambre criminelle rejette le pourvoi et confirme la position de la Cour d’Appel.

L’originalité du défilé de mode ne fait aucun doute pour la Cour d’appel, elle le relève d’emblée, à ce titre,  la Cour de Cassation s’était déjà positionnée en ce sens pour d’autre création mais jamais pour un défilé de mode. Elle reconnait donc que la reproduction sans autorisation de ces défilés de mode, véritable créations originales, constituait un acte de contrefaçon.

Nous pouvons nous demander ce qui est original dans un défilé, hors mis les créations de couture elles-mêmes ?

Les décors, la mise en scène, les tableaux, les lumières ou encore la gestuelle des mannequins.

I/ L’originalité des spectacles et autres mises en scène

La façon dont se déroule un défilé de mode peut sans aucun doute être originale, dès lors qu’une mise en scène a été élaborée, que les mannequins en défilant mettent une touche de leur personnalité et une originalité dans le déhanché accompagné des jeux de lumières et des décors.

A ce titre la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 mars 1992, juge illicite la reproduction d’un spectacle sonore et visuel organisé à l’occasion du 100ème anniversaire de l’édification de la Tour Eiffel par la société « La mode en image ». La première chambre civile retient que «  la composition de jeux de lumière destinés à révéler et à souligner les lignes et les formes du monument constituait une « création visuelle » originale et partant, une œuvre de l’esprit ; qu’il en résultait nécessairement au bénéfice de son auteur un droit de propriété incorporelle, abstraction faite de l’événement public à l’occasion duquel cette œuvre lui avait été commandée ».

On peut citer l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 8 juillet 1971 « Jean Darnel c / Emile Noël et Assoc. » concernant la sauvegarde et la mise en valeur du Paris historique où il est fait question de la protection des mises en scène. La Cour d’appel énonce ainsi « considérant que si l’influence du chef d’orchestre dans la présentation d’un spectacle lyrique est le plus souvent prépondérant, il n’en reste pas moins que la mise en scène d’un spectacle bénéficie de la protection de la loi dès lors que, tout en respectant les annotations de l’auteur du livret et en se soumettant à l’interprétation par chef d’orchestre de la partition musicale, il fait œuvre originale dans les instructions qu’il donne, notamment sur la composition des divers tableaux, la nature des décors, le choix et l’emplacement des accessoires et également sur l’entrée, la sortie et le comportement des interprètes, ainsi que sur le ton et le rythme des paroles qu’ils ont à prononcer ».

Le fondement de cette décision est la loi du 11 mars 1957 qui protège la mise en scène d’un spectacle théâtral à condition d’être original. La mise en scène dans ce cas d’espèce présentait la personnalité de l’auteur.

On peut citer également une autre décision en matière de muséologie et d’exposition, de la Cour d’appel de Paris,  « Comité Henri Langlois c/ Cinémathèque française ».

Dans cet arrêt, la Cour d’appel reconnait qu’une organisation muséographique est une œuvre de l’esprit. Elle énonce ainsi « peu important le statut juridique des objets la composant, l’exposition dénommée « Musée du Cinéma Henri Langlois », création originale de son auteur et qui a fait appel aux qualités intellectuelles et de sensibilité de ses visiteurs, constitue une œuvre de l’esprit ».

Ainsi, un spectacle, une représentation, une mise en scène et maintenant un défilé de mode peuvent être reconnus, à condition d’originalité, en tant qu’œuvre de l’esprit. Mais la reconnaissance  par la Cour de cassation du défilé de mode comme œuvre de l’esprit et en tant que telle protégée par le droit d’auteur est inédit et allonge la liste de l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle.

II/  La liste non exhaustive de l’article L112-2 du code de propriété intellectuelle

La France était, jusqu’à l’adoption du code de la propriété intellectuelle en juillet 1992, un des rares pays où il existait une loi ayant spécifiquement pour objet  la protection des articles de mode. Cette loi « tendant à réprimer la contrefaçon des créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure » 2 avait été adoptée parce que, pendant de nombreuses années, la jurisprudence refusait aux articles de mode le bénéfice du droit d’auteur. Mais malgré tout, cette loi de 1952 posait des problèmes d’application, par exemple, la protection accordée ne durait que pendant la période où les articles étaient à la mode et cette loi ne visait que les créations qui se renouvelaient « fréquemment » ainsi le législateur ne le  réintègre pas dans le code de la propriété intellectuelle. L’alinéa 14 de l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle fait encore référence aux « créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure » en disposant que celles-ci fassent parties des « œuvres de l’esprit » qui peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur. Les créations de mode sont, à partir de l’entrée en vigueur du code de propriété intellectuelle, soumises aux règles dites communes du droit d’auteur, sous réserve qu’elles soient originales.

Bien que l’originalité soit la seule condition exigée par la loi pour qu’une création puissent bénéficier de la protection du droit d’auteur, il est unanimement admis par la jurisprudence qu’en matière d’art appliqué, et plus particulièrement en matière de mode, qu’il faille également que les créations soient nouvelles, c’est-à-dire qu’elles ne fassent pas l’objet d’antériorités de toutes pièces (chambre civil de la Cour de cassation le 23 février 1994). Mais la règle ne joue pas en sens inverse : une création qui n’est pas « originale », car relevant du simple savoir-faire, ne peut bénéficier de la protection du droit d’auteur, même si elle est nouvelle 3. On se rapproche ici de la décision de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 13 juin 2006 qui rejette la protection par le droit d’auteur à la fragrance d’un parfum qui, selon la cour, «  procède de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire, ne constitue pas au sens des textes précités, la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur ».

Cette reconnaissance avait pourtant été admise par les juges du second degré et la fragrance aurait pu être reconnue en tant qu’œuvre de l’esprit, mais sur ce point un revirement de jurisprudence est toujours possible.

Contrairement aux défilés de mode, la fragrance du parfum n’accède pas à la liste de l’article L112-2 du Code de Propriété Intellectuelle.

Cette liste va-t-elle s’allonger pour faire place à des créations nouvelles, originales et inattendues quant à leur genre. Notre société étant s’en cesse en pleine évolution notamment grâce aux nouvelles technologies, cela est donc plus que probable. Rappelons tout de même le principe de protection, l’article L112-1 du code de la propriété intellectuelle protège toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

La créativité n’a pas de limite tout comme la liste de l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle.

Par Thanh Van DUONG, Juriste droit des créations intellectuelles 

et Koumba KONE, Juriste droit des nouvelles technologies

 

 

1. voir André BERTRAND, La mode et la loi, Collection « Théorie et pratique », CEDAT, 1998, p.7.

voir Ingrid GENSOUS, La protection des créations de mode, 1998, p.7.

3. voir André BERTRAND, Le droit d’auteur et les droits voisins, Dalloz 2e édition, 1999, p. 811.

Cour de cassation, chambre criminelle, le 5 février 2008 – N° de pourvoi: 07-81387

Publié le 22 juin 2008 sur le site european-legaladvice.com

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